Parler et agir contre le harcèlement avec Ru'elles
L’inscription du harcèlement de rue dans la loi a permis de jeter un éclairage sur les multiples formes de harcèlement que subissent de nombreuses femmes en France dans la vie de tous les jours. Plusieurs notions autour du consentement restent cependant encore floues et un important travail de prévention et d’éducation reste nécessaire: c’est ce que propose l’association Rue’elles, qui a animé un atelier sur les violences sexistes avec des jeunes, filles et garçons, du CSC.
Apprendre et démystifier
Les jeunes connaissent déjà bien le sujet : on trouve déjà des affiches de campagnes contre le harcèlement placardées dans les établissements scolaires depuis plusieurs années, à la suite de campagnes du gouvernement. La circulation de posts et de vidéos sur les réseaux sociaux contribue aussi à la diffusion de beaucoup d’idées reçues sur les relations entre filles et garçons.
Venues sur l’invitation du secteur jeunes du CSC, Tiffany et Emilie, respectivement présidentes et animatrice bénévole de l’association Ru-elles, proposent de déconstruire ces idées reçues et de recueillir des témoignages. Elles imposent dès le début des règles simples pour établir la confiance : ce qui est raconté pendant le temps de l’atelier sera écouté sans jugement, et ne sera pas répété ou divulgué.
Pour mieux identifier les situations de harcèlement et comprendre comment les déjouer, l’exercice du jeu de rôle permet aux participants de mettre en scène des méthodes de résistance. Avec parfois des revirements singuliers, comme la demande d’une des jeunes filles de renverser les rôles et de se mettre dans la peau d’un agresseur.
Reconnaître et réagir
Suite à de nombreux témoignages en 2017 et 2018, l’Assemblée et le Sénat votent la loi du 8 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, qui crée donc une nouvelle infraction, outrage sexiste, qui constitue le fait “d’imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui soit porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante”.
Parmi les situations les plus courantes de harcèlement dans l’espace public : le relou, le type insistant qui essaye de soutirer un numéro de téléphone à grand renfort de compliments gênants ou de commentaires sur l’apparence physique.
Ou bien le frotteur, qu’on rencontre typiquement dans les transports en commun. Ou encore l’expérience inquiétante d’être suivie par un inconnu dans la rue, parfois jusqu’à son domicile.
Dans la boite à outil proposée par les animatrices, on retrouve les 4D, à la disposition aussi bien des victimes que des témoins qui voudraient intervenir:
–Distraire, détourner l’attention du harceleur pour éviter que la situation dégénère, par exemple en lui posant des questions ou en engageant la conversation avec un passant, en faisant semblant de le connaitre.
–Déléguer : Demander de l’aide, à des commerçants, chauffeur-se de bus, agent-e de sécurité, ou tout simplement en parlant fort pour attirer l’attention des passants (“Regardez, vous trouvez ça normal ?”)
–Documenter : Prendre des photos ou filmer l’agresseur, enregistrer l’audio de la situation. Dans ce genre de situation, il faut user de prudence et penser à quelques détails qui peuvent faire la différence: se tenir à une distance de sécurité, et énoncer à voix haute l’heure et le jour ainsi que le lieu où m’agression a lieu, afin que cette preuve puisse être utilisée. Attention également à ne pas publier ces documents sur internet, ce qui constituerait une infraction au droit à l’image.
–Diriger : Si l’on estime ne pas être en danger, on peut diriger la situation, reprendre le contrôle et demander à l’agresseur d’arrêter, de partir.
Malgré ces techniques et outils à leur disposition, certains jeunes témoignent pourtant de situations d’impuissance, que les animatrices décrivent par la notion de sidération : le choc ressenti lors d’une agression empêche beaucoup de victimes de réagir et de se défendre, un phénomène encore mal compris et pourtant très fréquent. Avec ce concept en tête, les victimes peuvent mieux expliquer leur expérience si elles sont amenées à la raconter à des enquêteurs mais aussi à leur entourage ou à d’autres victimes.
Les enjeux du sexisme
Les situations de harcèlement ne se limitent malheureusement pas à l’espace public ou à l’école scolaire, c’est pourquoi les animatrices ont pris le temps d’aborder aussi le cadre professionnel, que les jeunes participants connaîtront bientôt : les relations avec les collègues et les supérieurs peuvent être sources d’abus ou d’agression, mais les discriminations entre hommes et femmes au travail peuvent aussi se cacher dans les écarts de salaires, ou dans la représentations dominante d’hommes dans certains emplois plus prestigieux, tandis que beaucoup de femmes occupent des emplois dévalorisés comme agent d’entretien, garde d’enfant ou agent de caisse. Autant de sources d’inégalités auxquelles les jeunes gagnent à être sensibilisés, afin de ne pas les reproduire et s’en échapper.
Le sujet sensible du harcèlement et des abus au sein du couple trouve aussi toute sa pertinence auprès des adolescents, qui vivent peut-être leurs premières relations amoureuses. Les animatrices ont rappelé que dans le couple, même si il y a de la tendresse et de l’affection, une communication maladroite, une mauvaise gestion des émotions, ou des abus de pouvoirs peuvent entraîner des situations de harcèlement.
La route est longue pour redresser des inégalités profondément ancrées dans l’inconscient collectif; pourtant, les prises de paroles résolues et enthousiaste des jeunes participant-es autorisent de l’optimisme et les initiatives comme celles de Ru-elles préparent déjà le terrain pour faire de la rue un espace sûr et respectueux.
Site de l’association Ru-elles Strasbourg : https://ruelles-strasbourg.fr/
Pour aller plus loin: http://www.stopharcelementderue.org/
LM