Le Marché du jeudi à la Meinau

Le Marché du jeudi à la Meinau

   C’est l’un des incontournables du paysage du quartier : le marché du jeudi, qui méritait bien une petite incursion, de la part de l’équipe MNO…

Mais pourquoi le jour du marché est le jeudi à la Meinau ?

   Le temps est clément et radieux ce jeudi matin, et il règne encore un calme inhabituel. C’est qu’il est encore tôt et qu’il y a peu de clients. Le moment est opportun pour s’entretenir avec les vendeurs qui, eux, attendent calmement la foule. C’est le cas de Sidibe, le poissonnier dont le stand se trouve du coté opposé de l’Eglise Saint-Vincent-de-Paul, face à l’immeuble hébergeant la boulangerie le Fournil de la Meinau.

Sidibe Abdulaye : ambassadeur du poisson frais à la Meinau

   Immédiatement, le visage de Sidibe s’illumine dans un sourire, chaleureux mais pudique, révélant des dents blanches superbement alignées. A la question du pourquoi dans le poisson, il donne le sentiment de quelqu’un attaché à presque tout ce que représente le milieu marin. Sur son étal : crevettes, mollusques, sardines, grandes variétés de poissons.

Autant d’espèces ! Mais d’où viennent-elles ? Une carte du monde derrière lui éclaire le sujet. La carte indique les zones de pèche : l’Atlantique et la Méditerranée (en guise de mesure de transparence), ainsi que les méthodes et pratiques de la pêche industrielle, et non artisanales. Un détail susceptible de troubler bien des esprits en ces temps de conscience environnementale aiguë. Mais ces détails simples traduisent, aussi, toute un maillon de stockage et de transport, de rigueur logistique vis-à-vis des produits fragiles dont la fraîcheur est l’argument de vente le plus efficace. Sidibe ne fait finalement que partie du bout du maillon.

C’en est ainsi que sa présence à la Meinau, depuis 2018, permet aux nombreux foyers du quartier de se procurer des produits de mers et océans, se situant à des distances considérables, et cela, sans plus d’efforts que de descendre de chez soi. L’étal soigneusement présenté suggère qu’il ne peut tenir seul son étale. Son coéquipier, Ahmed Tisghite, plus jeune, est là, abordant un sourire mais déclinant, poliment, d’être interviewé.

Sidibe s’adresse, selon le cas, en arabe, français et même allemand, démontrant un homme riche d’une expérience de la vie et des voyages, accessible, ouvert d’esprit et affectueux. Des qualités personnelles et une passion pour la filière des produits marins qui font de lui un ambassadeur du poisson frais à la Meinau.

Sidibe Abdullaye, l'ambassadeur du poisson du marché de la Meinau.

   Entre temps, Sidibe avait opéré une vente. Avec les gestuelles souples de vendeur chevronné, il introduisit le saumon découpé en morceaux dans un sac en plastique bleu qu’il tendit à son client masculin.

Mais saurait-t-il pourquoi le jour de marché, sur cette place d’Ile-de-France, est le jeudi ?

L’équipe “le Pont” de l’Église Baptiste et charrette-vélo café

   A la fameuse question du “jeudi”, l’équipe de quatre membres de l’Église Baptiste de Strasbourg, et leur stand charrette-vélo, attend de voir si le monsieur d’une quarantaine d’années, veste sombre et lunettes fines, cheveux grisonnants et clairsemés, qui s’est approché  pour un café, saurait y répondre !

L'équipe de l'Eglise Baptiste -rue de Languedoc - propose des cafés gratuits

   Durant les treize années pendant lesquelles il tint un stand, avant de quitter la Meinau en 2023, nous précise ce monsieur, jamais cette question ne lui avait été posée ! 

   Depuis quand ce service café proposé gratuitement au marché existe ? 

En l’occurrence, sur la charrette vélo nommée “le Pont”, est entreposée une machine spécialement pour le café moulu. Une jeune femme de l’équipe entreprend la manœuvre pour faire le café à un homme qui s’était, aussi, rapproché, précédant un flux de personnes, jeunes et moins jeunes n’offrant que peu de moments de répit. Imperturbable, cette jeune femme saisit un objet à manche dans lequel elle introduit suffisamment de café moulu pour une dose. Elle tendit le gobelet à l’homme d’âge mûr,  qui, huma longtemps l’odeur qui s’y dégageait, s’enivrant des effluves prononcées du café chaud.

“Nous sommes là que depuis six mois, nous sommes aussi à Neudorf. (…) Le sens de cet acte est comme un don de soi, un acte d’amour envers ses semblables (…)  libre à ceux qui en bénéficient de s’intéresser du pourquoi de notre présence ici, sur le marché”, dit la jeune femme de l’équipe avec toute l’empathie qui se dégageait de la douce mélodie de sa voix aux accents québécois. Puis, elle ajouta, dans la même tonalité de voix et esprit : “Le café moulu de qualité est offert gratuitement, c’est simplement un moyen”, comme un pont -qui permet de nouer le dialogue et d’inviter à un temps de partage. 

La locataire du 6ème étage au-dessus du Fournil de la Meinau

   La locataire d’une quarantaine d’années, cheveux en queue de cheval, bruns et quelques bribes de blanc,  fronce ses sourcils faisant bouger ses lunettes de vue, lorsqu’on lui pose cette fameuse question : “Pourquoi les jeudis ?”. C’est bien la première fois qu’on le lui la pose !

Du haut du sixième et dernier étage du 5 Place de l’Ile-de-France, la vue s’étend au-delà du parc et atteint des horizons où le bleu du ciel et les silhouettes escarpées des montages se confondent. En bas, les figures humaines déambulent dans l’insouciance la plus totale ignorant que leurs faits et gestes sont observés. Le brouhaha des conversations animées et les bruits des moteurs des camionnettes se mêlent, et cela quelques heures avant l’aube. Les cris des hommes installant leur tentes remplacent pour certain.e.s locataires le son du réveil ! 

La vue sur le marché depuis le 6ème étage

   “C’est cela les jours de marché pour moi !” soupire-t-elle, comme agacée, et citant, à ce titre, son sommeil perturbé et la fatigue qui la submerge comme les effets qu’elle doit endurer toute la matinée et une partie du début de journée.

“Et je ne suis pas seule, poursuit-elle, qu’en est-il des parents aux horaires de travail qui les obligent à se lever tôt, ou les écoliers qui ont besoin d’une durée de sommeil minimum.”

C’est suffisant pour que la question de savoir dans quelle mesure les autorités municipales pourraient-elles être averties, se pose, et même pour qu’elle envisage l’alternative du déménagement. 

Épilogue

   Au fil des heures, l’ambiance marché s’affirme, entre les va et vient d’hommes et de femmes arborant des styles et goûts d’habillement, classiques, sportifs ou décontractés, et les voix des marchands qui retentissent sans qu’aucun affolement ne soit généré. Au contraire, la sérénité et le calme se perçoivent dans les attitudes et sur les visages. A l’intérieur de leurs camionnettes à ouverture latérale, tabliers et gants aux mains, les bouchers tiennent leur stand, silencieusement. Tous reconnaissent dans ses cris attribués aux marchands de biens non alimentaires, une astuce et tactique ou des gesticulations théâtrales pour attraper dans leurs filets quelques-uns de ceux et celles qui, flâneurs.euses ou acheteurs.euses, déambulent dans les allées du marché.

Le Matlouh est un type de pain fait avec de la semoule, mais il existe quantité de recettes selon les régions

   C’en est ainsi, le marché est un agrégat de scènes, qui laisse le sentiment d’un spectacle coloré et éclectique permanent. S’y promener  procure des sensations plaisantes et agréables, parfois indéfinissables ! C’est  un haut lieu de rencontres s’ouvrant sur un monde de tous les possibles : une expérience enchantée quand on se laisse guider.

Pour répondre enfin à cette fameuse question  : “Pourquoi les jeudis”, nous avons sollicité la municipalité.  Néanmoins, quelques réponses évoquent le jour libre de la semaine pour les écoliers, un héritage qui perdure, une tradition de depuis plus de cinquante ans…

James Atomre

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