Légendes urbaines. Chapitre 2 : Les ruminations et rumeurs du quartier, peur de l’éradication au Kärcher ?

Légendes urbaines. Chapitre 2 : Les ruminations et rumeurs du quartier, peur de l’éradication au Kärcher ?

L’autrice, Marianne Vollet-Gless, propose des petits contes sur le quartier de la Meinau, à partir de ses souvenirs, divaguant entre réalité et fiction. Voici la suite de la série “Contes & Légendes : Les Etourneaux de la Meinau”.

Les étourneaux colonisent les chambres des jeunes frustrés. Illustration : Tano Sirna

Oh la la ! Je reviens du commissariat de police : rien de rien sur la disparition de Rafida. C’est toujours pareil, les parent l’ont signalé, mais évidemment comme elle vient d’avoir 18 ans, il n’y a rien à faire… Il y a des dizaines de personnes qui disparaissent en France sans donner de nouvelles à leur famille. On a cherché : pas de corps, pas d’accident, du moins aucune trace ni du côté du lac Schulmeister, ni du côté de l’ancienne usine Clark, cette friche industrielle de la Plaine des Bouchers en pleine rénovation devenue le repaire des fumeurs de joints et autres canaillous.

 « D’ailleurs, on n’a pas assez d’effectifs pour une population ménovienne de 23 000 habitants… Une équipe de quatre, vous pensez ! », ajoute le commissaire.

« Oui, se dit Maya, au commissariat du Quartier des XV, là-bas, ils sont à neuf, avec des bureaux bien situés dans un immeuble de caractère, cossu, ça calme le plaignant quand il voit les moulures dorées… Pas comme ici, où on entre de plein pied, même pas de quoi s’affaler sur une chaise en formica, juste un comptoir, avec vue sur des murs blanc gris, un comptoir qui aurait bien besoin d’être reverni lui aussi, et des ordinateurs poussifs qui mettent trois heures pour enregistrer une plainte ! »

Ah la la on a dû voter pour Chirac en 2002, pour éviter l’extrême droite et on a eu un ministre sinistre, ce Sarkozy, qui veut faire le ménage au Kärcher dans nos quartiers ! Eh bien qu’il vienne ici, on lui donnera déjà un balai, qu’il voit de près la misère de ses fonctionnaires soi-disant “détenteurs de l’autorité publique”. Et maintenant même l’iman qui vient me glisser à l’oreille qu’il se passe des drôles de choses à l’époque où les étourneaux piaillent dans les platanes de l’avenue de Normandie. Même des habitants, et pas des moindres, comme le président de l’association des locataires HLM, me parlent d’attaques d’oiseaux qui rentreraient dans les appartements à partir du quatrième, soi-disant par les loggias.

Pour y faire quoi ? Des nids ? Piquer les enfants la nuit durant leur sommeil avec leurs becs ? Trop vu de films d’horreur. Il n’y a jamais eu d’Hitchcok à la Meinau, quoique que…

Dans les rues, poursuivis par les oiseaux, les jeunes se sentent oppressés. Illustration : Tano Sirna

La Canardière, c’est bien le nom du Ententau, « la mare aux canards » en alsacien. C’était un grand espace agraire dont les mares furent autrefois asséchées pour y faire surgir ces longues cités post-soviétiques. Les immeubles quadrillent les avenues de Normandie et de Canardière et donnent cette déprimante vision géométrique de la Meinau-Cité où les étourneaux aiment tant leurs platanes ?

Ces platanes donnent un petit air de Midi méditerranéen dès le printemps, quand on les regarde depuis le terrain de pétanque entre l’église Saint-Paul et le Centre socioculturel. Mais ces platanes alimentent maintenant une rumeur collective, celle des étourneaux preneurs d’otages de jeunes filles et garçons, apparemment sans distinction de sexe.  Pourtant il n’y avait pas de réseaux sociaux alors !

Peut-on porter plainte contre des oiseaux ? Se demandent les joueurs de boule à voix basse. En attendant, tous les acteurs.trices du quartier se concertent, c’est la tradition à la Meinau : parents d’élèves, éducatrices et éducateurs du rue, associations locales, commerçant.e.s de la place de l’Ile de France, directeurs.trices d’école et principal.e.s des collèges échangent et redemandent à la police de se joindre à eux pour demander des renforts, des ilotiers. Prendre les choses au sérieux ! Si ce ne sont pas les oiseaux, qui fait disparaître les jeunes ? Qui est-ce ?

De moins en moins d’élèves fréquentent le collège, l’absentéisme scolaire une vraie plaie !

Les éducateurs n’arrivent plus à pister ni fixer la douzaine de garnements déviants dans les lieux habituels où ils se retrouvent, dans le “carré” ; ou derrière le collège Lezay ; dans le mini local de l’APAM à côté du supermarché, et enfin, devant l’ancien 1000 club. Ce dernier est devenu, avec les politiques de la ville successives, d’abord un laboratoire d’informatique pour tous aux temps héroïques des premiers micro-ordinateurs à 1 Méga, (les ATARI), merci aux éducateurs d’insertion de l’Atelier, et ensuite, le premier L.A.P.E (Lieu d’Accueil Parents Enfants) de cité. Ce LAPE fut magistralement dirigé à ces débuts par Lucia, une enfant des cités parvenue à force de volonté à ce poste de responsabilité, passant les échelons du brevet des collèges, puis du BEP pour arriver à Bac+5 et … à tous les emmerdements qu’amène la situation de transfuge de classe. BEP sanitaire et social, bac techno, études supérieures, l’école d’éducateurs. Lucia fut une des figures ménauviennes fortes, celle d’une femme étrangère émancipée et laïque, qui travaille, vit en famille mixte pacsée, s’investit comme actrice du quartier, avec une force autorité éducative, remuant à la fois les habitant.es, les édiles politiques et les institutions publiques sociales toujours en retard d’un tour quant aux besoins réels des gens du peuple.

Alors la moindre oscillation de la politique de la ville agite les ménauvien.ne.s prompts, à juste titre, à se sentir mal traités -sauf coté foot, soyons juste, mais le Racing est de l’autre côté, le bon côté des villas…

« C’est drôle, d’ailleurs, me dit Farida, qui se promène coté villas, s’aventurant hors du périmètre l’Ile de France ou Schulmeister, là-bas, au parc de l’Extenwoerth (imprononçable ce nom), enfin là où continue le Krimeri en face du stade,  il n’y a pas de tintamarre d’étourneaux à l’automne, et personne ne m’a parlé de disparition d’adolescent.es. Ce n’est pourtant pas loin de l’avenue de Normandie, il suffit de passer le petit pont…… ». Silence gêné.

Triste cité malaimée, bien aimée malgré tous les Kärcher. Illustration : Tano Sirna

Peut-être est-ce à cause de cette mystérieuse villa à l’allure de bunker hérissée d’antennes, celle qui est au bout de la rue Staedel, face au lieudit des Vanneaux, là où il y avait jadis une fabrique de cire, une villa à la forme trapue qu’on dirait un repaire des Renseignement Généraux. Ils font fuir les étourneaux, ces RG et leurs fréquences ? Mais pas les merles, ni les mésanges, ni les chardonnerets, ni les vanneaux dont les chants sont bien plus sympas et mélodieux à l’oreille !

Bon on va en parler à la prochaine réunion du Conseil de quartier. Je n’ai pas confiance en ces étourneaux de malheur. Même si « ils », les édiles, les autorités, la Ville, veulent passer le quartier au Kärcher, cela va peut-être faire fuir les oiseaux mais pas faire revenir nos enfants disparus.

Le Karcher… même le rabbin a frémi en entendant le ministre de l’Intérieur d’alors, venu à la Meinau, pour annoncer un grand plan de rénovation urbaine, transformer le bâti oui, pas cramer les enfants !

En attendant cette rénovation urbaine, l’éradication des tours, parce que construites selon les notions “d’espace vital”. Résultat ?

« Maya, Rabia, chaque fois que je fais une visite, avant même que la porte ne s’ouvre, dit l’assistante sociale Christine, je savais où serait la table de la cuisine, de quelle taille seraient le canapé et les lits … Parce que tout a été mesuré, prévu par des programmistes qui n’ont jamais fait de travaux domestiques ».

« Si bien que chaque logement ressemble à celui du voisin, déprimant ! », ajouta l’amie de l’assistante sociale.

Est-ce que de les faire exploser ces tours, cela va-t-il améliorer l’habitat, donner plus de liberté aux locataires ? Et surtout stopper les disparitions d’enfants ?  Les scriptococcinelles du parc Schulmeister sont toujours là, elles attirent même de plus en plus de cygnes sur le lac. Il faudrait peut-être le draguer ? Frisson d’horreur chez tous les habitants….

Les habitants s'interrogent et se rassemblent tant bien que mal. Illustration : Tano Sirna

 Texte Marianne Vollet-Gless, illustrations Tano Sirna, citoyen.ne.s du monde et de la Meinau

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