Couples binationaux : preuves d’amour

Couples binationaux : preuves d’amour

     Au mois de juin 2025, sur le parvis du Centre Socioculturel et de la Médiathèque Meinau, s’est érigée une exposition photographique de Brigitte Sombié, nommée « Parkour d’amour » et portée par l’association « Les amoureux au ban public ». Occasion de comprendre les enjeux traversés par les couples binationaux en France, mais aussi de rencontrer un couple franco-tunisien : Charlie et Margaux*.

© Hayva Wernert | MNO

     Charlie et Margaux sont fiers quand ils s’avancent vers moi, ils ont une bonne nouvelle à m’annoncer : ils viennent de se pacser. « C’est une étape phare dans notre histoire », atteste Margaux, le sourire aux lèvres. Son compagnon, Charlie, est tunisien, elle, est française. Depuis qu’ils sont ensemble, le couple n’a cessé de faire face à de nombreuses difficultés.

« La Tunisie ne m’a rien donné »

     Tout de suite, Charlie me parle de la Tunisie, et notamment du fait qu’il a dû très vite prendre le rôle d’homme de la maison. Dans cette posture, il s’est senti pieds et mains liés, et ne voyait aucun avenir pour lui à l’horizon. Charlie est un grand rêveur, et son rêve il le tient, aujourd’hui,  dans sa main : c’est Margaux.

« Mon père est mort quand ma mère était enceinte de sept mois. La Tunisie ne m’a rien donné. La loi là-bas est contre nous, contre la jeunesse. Simplement, on aime la terre, l’odeur du pays et la mosquée, mais c’est vide de vie et d’espoir. J’ai arrêté l’école tôt et j’ai commencé à travailler dès l’âge de 13 ans. J’ai beaucoup travaillé, juste pour qu’on puisse manger et payer notre logement. Je suis un humain, j’ai le droit d’avoir des rêves, de fonder une famille, d’avoir un avenir, une femme, une grande maison, des enfants qui courent autour de moi. Alors, j’ai décidé de tenter ma chance en France », explique Charlie.

© Hayva Wernert | MNO

Coup de foudre en situation irrégulière

     C’est dans un bar à Strasbourg qu’il rencontre Margaux, attablée avec des ami.e.s. C’est le coup de foudre. Charlie prend le temps de demander si Margaux est célibataire, puisqu’il a peur que son ami, assis à côté d’elle, soit son compagnon. Le premier contact est créé. Margaux accepte de revoir Charlie. Tout se passe vite entre eux, et il ne lui cache rien. « Je lui ai tout de suite dit que j’étais sans papiers », confie Charlie. Par la suite, Margaux découvre que son petit-ami vit dans un appartement vétuste à Schiltigheim, pour un loyer exorbitant. Elle, qui vit à Sélestat, lui propose naturellement, après deux mois de relation, de venir vivre chez elle. « Ça devait être une solution provisoire mais finalement ça s’est tellement bien passé, qu’on vit encore ensemble aujourd’hui », atteste Margaux. « Ça passe vite tous les jours avec toi », dit Charlie, en la regardant avec des yeux de merlan frit.

Dès le départ, ils ont senti qu’ils passaient une phase où ils devraient très vite se justifier. « J’ai mis son nom sur les factures de la box et d’électricité », explique Margaux. De son côté, Charlie travaille de manière clandestine. Il s’est arrangé avec une boîte qui ferme les yeux sur sa situation. Cependant, il n’a aucun droit, il n’a pas de fiche de paie, ne cotise pas, n’a pas d’assurance maladie, ni de couverture sociale en cas d’accident, ni de congés payés, ni le droit à des arrêts maladie. Charlie passe ses journées sur des chantiers, et c’est très dangereux. D’ailleurs, il s’est déjà blessé, mais continue de travailler.

Au mauvais endroit, au mauvais moment

     Fin janvier 2025, Charlie ne se sent pas bien, il est malade sur le chantier, et son supérieur l’autorise à rentrer. Charlie prend le train avant midi, depuis la gare de Hochfleden, pour retourner à Sélestat. Cependant, dans le train il y a la police des frontières qui effectue un contrôle de routine. « Ils sont venus directement vers moi », relate Charlie. « C’était clairement un contrôle au faciès », affirme Margaux. « Ils me prenaient pour un criminel, comme quelqu’un qui aurait volé quelque chose, alors que j’étais en tenue de travail », poursuit Charlie. « C’était hyper humiliant », souligne Margaux.

De là, Charlie est emmené directement à Entzheim, à la Direction interdépartementale de la Police aux frontières. Juste avant, il a pu discrètement contacter Margaux pour l’informer, mais très vite son téléphone est réquisitionné. Margaux est au travail et en panique. Elle n’a aucune nouvelle, et elle ne sait même pas où il peut avoir été emmené. Elle décide d’appeler les commissariats et centres alentours.

Quand elle joint la Police aux frontières, elle apprend que Charlie y est en garde-à-vue, et elle explique la situation. En ligne avec un agent, elle lui dit que c’est son compagnon, cependant ce dernier lui répond : « Ça ne vous regarde pas ».

Finalement, Charlie est libéré après quelques heures interminables, mais il a des papiers en mains : c’est une Obligation de quitter le territoire français (OQTF) avec Interdiction de retour sur le territoire français (IRTF), triplé d’une assignation à résidence.

« C’est quand même fou qu’ils l’aient relâché comme ça, dans la nature, avec ces papiers, sans rien lui expliquer », s’étonne encore Margaux. Cependant, elle est heureuse que Charlie n’ai pas été renvoyé directement à la frontière. « Je suis maintenant toujours angoissée quand il prend le train », confie-t-elle.

L’aide des amoureux au ban public

     Le couple se tourne vers un avocat pour constituer un recours. « On a été mal informé pour l’assignation à résidence, on ne savait pas que Charlie devait pointer tous les jours au commissariat », explique Margaux.

Donc la police débarque chez eux, « c’est la honte pour les voisins, et c’est une violation de l’espace intime. On se dit que chez soi on n’est pas du tout en sécurité, livre Margaux. Ce sont des moments très angoissants, on avait peur d’être séparé. Et tout prenait tellement de temps ».

Grâce à leur rencontre avec l’association « Les amoureux au ban public », le couple bénéficie d’un accompagnement, de conseils et se sent surtout moins seul.

« Ça nous a aidé d’être dans une communauté de couples binationaux qui traversent les mêmes difficultés que nous, avoir accès à des ressources et des pistes pour avancer », révèle Margaux.

Au sein de l’association Margaux et Charlie sont membres du collectif, et participent régulièrement et activement aux événements. C’est d’ailleurs l’association qui les a orienté vers le pacs.

Le prix de la tranquillité

     Le contexte actuel pour l’union de couples binationaux est très compliqué, et le parcours d’immigration en France n’est pas simple. « Pour le pacs on est passé par un notaire, et pas par la mairie, car on n’avait pas envie d’être confrontés à une série de questions et d’enquête. On se sent toujours sous suspicion », s’inquiète Margaux.

Cependant, toutes ces démarches ont un coût, les frais d’avocat d’une part, et les frais de notaires de l’autre. « On paye le prix de la tranquillité », justifie Margaux, qui a largement conscience que ce n’est pas un luxe que d’autres couples binationaux peuvent se permettre.

Charlie est toujours sous OQTF, et le couple espère que le PACS est une preuve de plus pour justifier de leur vie commune et permettre à Charlie d’obtenir l’annulation de l’OQTF et de bénéficier d’un titre de séjour.

Charlie souhaite vraiment travailler, contribuer à la société française et espère pouvoir demander une autorisation de travail à la Préfecture. Cependant, le tribunal a déjà rejeté leur recours. « Il faut faire preuve de patience maintenant », souffle Margaux.

© Hayva Wernert | MNO

« C’est une vie où tu te justifies d’exister »

     Charlie pense beaucoup à sa mère et souffre de cet éloignement. « Là j’aimerais donner des câlins à ma mère, pouvoir aller et venir comme je le souhaite », confie Charlie avec beaucoup d’émotion. « C’est une vie où tu te justifies d’exister », poursuit Margaux. « Et il y a deux catégories, des favoris et des défavorisés » complète Charlie.

Charlie ne souhaite que travailler, avoir une vie normale, et être considéré à sa juste valeur et sa juste place.

« La situation est complètement folle, car il y a des personnes qui sont là sur le territoire et y a des besoins, avec des métiers en tension, ces mêmes personnes veulent travailler et au lieu de les aider et les accompagner, l’administration française met des stops, s’étonne Margaux. Alors quand on ne t’ouvre pas les portes pour travailler, certaines de ces personnes peuvent se tourner vers des activités illégales pour survivre, à mon avis ce n’était pas leur premier choix », pense-t-elle.

« Les sans-papiers on est pas des monstres, des méchants et des gentils y en a partout. J’ai risqué ma vie pour venir en France, je ne suis pas un délinquant », dit Charlie, qui curieusement, ou parce qu’il ressent cette pression, ne cesse de se justifier, dès lors qu’il n’aurait pas à le faire.

     Leur parcours est semé d’embuches, « mais on avance », affirme Margaux, avec beaucoup de détermination dans le regard.  Heureusement que le couple est soutenu par la famille et leur entourage. « Charlie est adoré par ma famille », dit fièrement Margaux. « Ses grands-parents sont magnifiques, surtout sa mamie je l’aime trop, ils me donnent beaucoup d’amour », poursuit Charlie.

     Aujourd’hui, ils souhaitent seulement s’aimer librement, construire leurs vies à deux, fonder une famille et vivre heureux. C’est tout ce qu’on leur souhaite.

 

*Les prénoms ont été changés pour respecter l’anonymat

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