Se baigner en Alsace, une expérience à nulle autre pareille ! Et surtout de nombreux souvenirs…
Ô Baggerweyier !
Il y a beaucoup de gravières, des « Baggerweyier » comme nous Alsacien.nes appelons ces plus ou moins grosses trouées d’eau creusées dans la large plaine du Rhin, pour l’excavation des graviers, de toutes tailles, si utiles pour les humains.
Du Nord au Sud de la vallée rhénane, de part et d’autre du fleuve, on peut découvrir des gravières soit exploitées, soit laissées à la nature et aux usages informels, soit mixtes. De Roppenheim à Soufflenheim en passant par Gambsheim, La Wantzenau et bien sûr Illkirch jusqu’à Plobsheim. Dans le Haut Rhin, j’ai connu comme tous les enfants de la plaine du Rhin, rive gauche, comme rive droite, les joies des loisirs aquatiques très tôt. J’avais la chance d’avoir des parents nageurs amateurs de baignades, si rafraichissantes au cœur de l’été, après les fenaisons, et jusqu’aux derniers jours de septembre, lorsque les eaux des Baggerweyiers, alimentées par les multiples résurgences de la nappe phréatique du Rhin venaient rafraichir les peaux rougies halées piquetées par les brins de paille ou les efflorescences des herbes sèches, poussières dans l’air, s’échappant des charrettes de foin ou de paille des paysans.
Les « Baggerweyier » ne sont pas étangs, eau stagnante, royaume des moustiques et des taons, non non ! Le fond peu vaseux repose sur des cailloux, filtre naturel qui permet une nage légère comme en piscine mais sans chlore.
Les Baggerweyier ne sont pas non plus des sablières, comme me l’apprit plus tard la belle- famille des bords de Loire. La Loire, autre grand fleuve, empreint d’histoire où l’on ne se baigne jamais tout à fait au même endroit, au rythme des déplacements imprévisibles des bancs de sable….
Toute petite je me baignais donc déjà dans la gravière de mon village, au nord de Strasbourg, malgré la pancarte « pêche et baignades interdites », et sous l’œil indulgent des ouvriers de l’exploitation des graviers, dont l’entreprise se protégeait ainsi de toute responsabilité au cas où cet usage récréatif de l’eau, tradition millénaire des habitants de la plaine du Rhin, tournait mal.
Lorsque je pus venir, en vacances, fin des années cinquante au Neuhof et à la Meinau, chez mon parrain et ma tante qui construisaient leur beau pavillon tout confort, dans ce quartier à l’arrière du Baggersee, entre la place des Colombes, la ferme de la Ganzau et le site des Grands Moulins de Strasbourg, ce fut le bonheur du dépaysement !
Celui de découvrir une gravière aménagée, avec camping, barbecues et ambiance de club Gilbert Trigano.
Je me souviens…
Je me souviens de la caravane blanche installée du côté de la maison de l’association de pêche, devant laquelle Tante Marcelle faisait rôtir des pommes de terre Bintje (les meilleures pour tout cuisiner) sur le brasero aux feu de bois, à l’ombre des grands peupliers du bord du lac…
Oui, pour la petite fille que j’étais alors, un tel soin apporté aux abords du Baggersee le faisait passer du statut de « Weyier » à celui de lac romantique à souhait.
Je me souviens, plus tard, dans les années soixante, être revenue avec mes nouvelles amies strasbourgeoises, passer des jeudis après-midi d’été à traverser le lac du Baggersee, avec autant de joie que si c’était la mer, que nous n’avions jamais vu. Et se reposer sur un bord lissé par les vaguelettes et pas encore recouvert de sable comme plus tard, dans les années 90, lors de sa rénovation en base de loisirs modernes, avec jeux, installations surveillées, maisons associatives et même un restaurant d’insertion, à l’initiative de l’association l’Atelier, afin d’allier démocratisation du temps libre et action sociale. C’était alors que je vins avec mari et enfants vivre à la Meinau, et retrouver les joies de l’été à la plage en ville.
Le bonheur, pour notre famille modeste, était de sortir et se baigner, du 15 juin à fin septembre, à 5 minutes à peine de chez soi.
Un de mes fils, se souvient, d’avoir passé des heures à pêcher sur l’avancée rocheuse près l’entrée principale, le soir, à la fraiche ou tôt le matin comme des dizaines d’autres gamins des garçons surtout, l’ont fait génération après génération.
Une pêche contemplative, car les quelques goujons attrapées étaient aussitôt remis dans le lac. La « pêche « sérieuse » était réservée à l’étang de Pêche du Schulmeister, où l’emmenait son oncle à la bonne saison. Pêche sérieuse mais hélas de plus en plus artificialisée, avec des mises à l’eau de truites arc en ciel d’élevage qui faisaient la joie des pêcheurs du dimanche et le désespoir de mon parrain observant la disparition des brochets, sandres, anguilles brèmes et autres tanches.
Je me souviens des activités associatives et citoyennes qu’on avait organisées, dans les « petites maison », avec les parents d’élèves du quartier, assemblées générales au bord de l’eau, fêtes de printemps et autres rendez-vous au Baggersee pour pique-niquer à la fraiche, après avoir cherché les enfants au périscolaire.
Je me souviens d’un évènement de l’année 2000, le passage de millénaire à une nouvelle monnaie, avec plein de craintes et de rumeurs millénaristes qui semaient le frisson dans les chaumières. Nous, avec les parents d’élèves et les familles de l’AFL Meinau, avons fêté l’évènement de manière ludique et citoyenne: Pour marquer le passage du Franc à l’Euro, les Associations Familiales Laïques (AFL) avaient orchestré un grand jeu interculturel sur l’Europe, faisant venir au bord du Baggersee des groupes d’enfants de toutes les écoles du Bas Rhin où nous avions créé des accueils périscolaires : un grand moment de découverte de cette Meinau alors conspuée par les médias comme « Quartier Haut Les Mains ». Je me souviens encore de cette fillette de Haguenau, devant le lac, au coucher du soleil sur le Baggersee remarquant :
« C’est beau c’est calme. Pas ce que je pensais de la ville ».
Je me souviens, plus récemment de cette magnifique manifestation des Arts dans la rue où des compagnies artistiques ont investi le Baggersee le week-end des 7 et 8 août 2021, soit entre deux confinements…
Un manège avec des -vrais- chevaux trottant sur la plage, une écuyère en équilibre sur le dos sur fond de lac…
Au fond, coté ancien camping, une performance géante : un engin elevator gigantesque installé sur la pelouse devant les rideaux de peupliers. Sur fond de musique envoutante, et d’un boniment anxiogène du comédien au sol, l’engin soulève des voitures accrochées à son flanc comme de gros insectes se balançant dans l’air, avec un comédien acrobate qui tente tant bien que mal de les stabiliser, grimpant de l’une à l’autre, en suspension dans l’éther.
Le public, scotché, regards rivés sur cette ribambelle fantastique de bagnoles qui montent au ciel dans un nuage de fumigène rose pendant que le compère philosophe au sol parle, parle, parle de notre société, de nos besoins, nos espoirs, nos craintes …Tombera ? Tombera pas ?
Au bord du lac du Baggersee paisible où glissent quelques cygnes dans le crépuscule du soir. Toujours là.
Toujours là, source de détente, de rêves, de rencontres, échappée belle à quelques minutes des tours et parallélépipèdes de béton découpées en appartement dits à « espace vital » où les familles vivent si serrées…
Un pas de côté, et hop, un lieu de répit : vert, bleu, orange.
De réservoir de mémoire et de souvenirs.
Je me souviens de bien d’autres anecdotes…
Celle de ma cousine, qui se rappelle avoir campé d’abord au RohrScholle, dans les canadiennes de grosse toile militaire, puis au Baggersee, avant l’arrivée de la caravane, avec la voiture allant avec, signe de réussite ouvrière des années 1960-1970.
Je me souviens des discussions sur les avantages respectifs du Baggersee et du lac Achard, de l’autre côté d’Illkirch, dont la commune avait fait l’aménagement plus tard, avec une piscine en plus, quand « nous » au Sud, nous avions déjà depuis les années 1960, la piscine olympique de la Kibitzenau….
Je me souviens bien sûr de quelques désagréments, comme les risques de vols de vélo, de feux sauvages à cause de barbecues mal éteints, de fêtes barbares la nuit…. Et plus récemment de reproches en tous genres faits au Baggersee, comme les risques de pollutions…
Je vois, depuis l’an dernier, avec tristesse le niveau de l’eau baisser…
Le Baggersee n’échappe pas non plus au dérèglement climatique. Mais il n’est-jamais- trop tard ?
Et vous, vous souvenez vous du Baggersee ?