Les Chibanis : ces mémoires invisibles

Les Chibanis : ces mémoires invisibles

Les Chibanis : ces mémoires invisibles

« Chibanis » signifie « anciens », ou « cheveux blanc » en arabe dialectal. Ce sont des personnes âgées issues de l’immigration africaine, notamment magrébine, mauritanienne, ou encore sénégalaise. A l’occasion de plusieurs événements, notamment des journées de rencontres, l’association ménauvienne Calima, œuvre pour la reconnaissance de cette mémoire enfouie sous les strates du temps. 

Journée de rencontres avec les Chibanis organisée par Calima
Journée de rencontres avec les Chibanis organisée par Calima

L’enjeu de la transmission

Aujourd’hui retraités, les Chibanis sont arrivés en France, pour la plupart lorsqu’ils étaient adolescents ou jeunes adultes, pour travailler au service d’un pays meurtri par la Seconde guerre mondiale. C’était les fameuses « Trente Glorieuses », où la main d’œuvre était recherchée, notamment pour relancer la production minière. Cette immigration fraîchement arrivée est alors parquée dans des foyers de travailleurs. Ils travaillent le plus souvent dans les mines et les usines. C’est alors de la véritable « chair fraîche », jeune et forte, estampillée d’un tampon vert sur la poitrine ou l’épaule par les recruteurs, une marque qui signifiait « apte au travail ».

Pendant une quarantaine d’années, leur labeur est sans relâche, ils portent des charges immenses et leurs conditions de travail sont mauvaises. Pour la plupart, ils se retrouvent avec de gros soucis de santé :  intoxication au plomb et/ou à l’amiante, arthrose, accidents de travail etc.

En 2022, ces populations sont âgées, et toujours là. Le « retour au pays » est un mythe. En effet, vu comme de la main d’œuvre bon marché, leur présence sur le territoire français était envisagée comme temporaire. Pour des raisons administratives et légales, la plupart sont contraints de rester en France afin de toucher leur complément de retraite. S’ils rentrent au pays, ils renoncent donc à une partie de leurs droits. Isolés et délaissés, les Chibanis sont la part d’ombre d’une mémoire française qu’il est préférable d’omettre. A l’occasion d’une journée de rencontre organisée par l’association Calima, qui a eu lieu le dimanche 27 novembre au Centre socioculturel Le Galet, à Hautepierre, les Chibanis ont pu être écoutés, entendus, vus.

Depuis des années, le combat de Mustapha El Hamdani, président de l’association Calima, est de mettre en lumière l’histoire des Chibanis. Ce dernier souhaite dédier, au moins une fois par mois, une journée spécifique pour eux : « Les Chibanis parlent rarement d’eux, ils sont très pudiques. Donc c’est à nous d’essayer de restituer leurs récits et d’accompagner la transmission de leur mémoire. Leurs descendants ignorent eux-mêmes complètement l’histoire de leurs parents. Cette transmission est un défi », explique Mustapha El Hamdani.

« Les personnes âgées immigrées sont un angle mort social »

Occasion aussi, pour le sociologue Piero Galloro, spécialisé en histoire et sociologie des immigrations, de présenter une étude portant sur les des(invisibilités) sociales et la question des Chibanis. On apprend alors que cette population a été la plus fortement touchée lors de la pandémie du Covid-19. En effet, la question du vieillissement des Chibanis est spécifique : ils sont pour la plupart isolés, hébergés dans des logements insalubres, pour certains encore dans des foyers, ou des cités HLM. Usés par des décennies de travail précaire et pénible, leur santé est fragilisée. Enfin, ils sont plus isolés à cause des barrières de la langue, un isolement familial, une précarité socio-économique, et aussi un manque d’accès aux transports en commun. Ils restent assez immobiles, dans des foyers surchargés. Ils ont aussi souvent moins de droits sociaux que le reste de la population, et leur prise en charge par la Sécurité sociale est plus que moyenne, car souvent ils n’ont pas de mutuelles.

« Les personnes âgées immigrées sont un angle mort social », affirme Piero Galloro.

Les sociologue Piero Galloro donne une conférence sur les Chibanis

Dans la salle, Salah Koussa, élu de quartier d’Hautepierre et Président d’Ophéa, est présent.

Touché par une histoire qu’il connait bien, il prend la parole :

« Vos histoires je les ai parcourus à travers celle de mon père, à travers ce qu’il a enduré. Sa prise d’initiative, son départ d’Algérie pour venir en France, c’est du courage, il faut laisser sa famille, ses repères. Il nous racontait son histoire et elle fait écho, ici même, quarante ans après. Vos histoires me donnent des frissons. C’est un poids que les nouvelles générations ont sur leurs épaules, et pour redonner un peu de gloire, et remettre les points sur les i, il est de la responsabilité à toute cette nouvelle génération de ne pas oublier cette histoire, qui est importante. »

En quête de dignité

Ces « petits vieux », ceux qu’on croise au café du coin, sur les bancs des cités, dans les foyers de travailleurs, ont une histoire qui fait partie de l’Histoire française. L’enjeu est de reconnaître leur contribution, de transmettre leur mémoire, et surtout de leur permettre d’avoir une fin de vie digne. Pour la plupart, ils aimeraient pouvoir rejoindre leur famille, restée au pays. Mais par obligation légale, ils doivent résider au moins 6 mois dans l’année sur le territoire français. 

Journée de rencontre avec les Chibanis, CSC Le Galet, Hautepierre
Journée de rencontre avec les Chibanis, CSC Le Galet, Hautepierre

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